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16 novembre 2010 2 16 /11 /novembre /2010 10:10

Ci-dessous un article à paraître dans le numéro 5 de la revue Livr'Arbitres, prévu pour février ou mars 2011.

PMH

(6 juin 2011) L'article a finalement paru en mai, dans le numéro de printemps.


Après avoir pris connaissance du contenu de certains tas de papier, viennent immédiatement à l’esprit le nombre d’ouvrages paraissant chaque année en France (quelques dizaines de milliers, sauf erreur) et la question : pourquoi en rajouter un d’aussi inutile que Minuit, bouquin de plus de 500 pages sur le comportement des écrivains, artistes et intellectuels français pendant l’Occupation, publié par Grasset en octobre 2010 ?

Son auteur, Dan Franck, a-t-il tant de temps à perdre pour se livrer à une aussi rébarbative compilation sur un sujet archi rebattu ? Ce qu’il appelle "récit" n’apportant strictement rien de neuf et se contentant d’égrener les anecdotes les plus éculées (du poids de L’Être et le néant au pyjama de Sacha Guitry, en passant par les femmes d’Albert Camus et de Jean Prévost) ne relève-t-il pas plutôt d’un bout-à-bout de fiches journalistiques, voire de la récitation ? Soyons juste : Dan Franck se livre parfois à quelques interprétations de son cru, visant à montrer que, s’il regrette manifestement d’avoir soixante-cinq ans de retard sur l’Épuration, il tient à faire savoir qu’il aurait pu jouer vaillamment son rôle à l’époque.

Prenons le cas le plus emblématique, celui de Robert Brasillach, le fusillé sur lequel les justiciers des heures d’après s’acharnent le plus volontiers (notons cependant que Céline et Drieu sont beaucoup moins épargnés par Franck qu’ils le sont souvent – au moins Franck ne charge-t-il pas les uns, ceux qui, comme par hasard, ont le plus "pris" à la Libération, pour mieux relativiser les torts des autres, sinon pour les en exonérer, tel Pierre Assouline à propos de Lucien Combelle ou de Ramon Fernandez, vis-à-vis duquel Dominique Fernandez adopta la même attitude, piété filiale oblige, dans une récente biographie par trop unanimement célébrée). Passons rapidement sur quelques erreurs factuelles (Brasillach à Nuremberg en 1935, p.159-160 ; Je suis partout, appelé Je chie partout – ce trait d’esprit raffiné n’est bien entendu pas de l’auteur –, « disparu du paysage quelques années après sa création », p.269 ; Brasillach rendant visite aux Fernandez parmi les « meilleures icônes du PPF de Doriot », p.414), mineures s’agissant d’un livre qui en comporte autant (par exemple Alfred Greven producteur du Juif Süss, p.235, Louis Jouvet engagé par la Continental, p.238) et qui est aussi peu avare en approximations ou clichés (Les Visiteurs du soir manquant de moyens, p.246, ou le jazz mal vu sous l’Occupation car produit d’importation américaine – cf. Jazz et société sous l’Occupation, de Gérard Régnier, L’Harmattan, mars 2010). Venons-en au test des enfants. Appelons ainsi la façon dont l’une des phrases les plus discutables de Brasillach est presque systématiquement paraphrasée, tronquée, déformée, réécrite et bien sûr sortie de son contexte pour lui faire dire bien plus qu’elle ne pouvait dire en elle-même. Franck rivalise avec ses nombreux prédécesseurs en forgerie journalistique (et souvent universitaire, hélas) : « Brasillach était rédacteur en chef du journal fasciste et antisémite Je suis partout (il regrettait que la déportation des Juifs ne fût pas systématiquement étendue aux enfants). » Rien ici d’extraordinaire, juste la routine du pisse-copie paresseux.

Plus originale que sa façon de s’en prendre non seulement à l’homme Brasillach et à ses prises de position politiques, est la manière dont il tente de disqualifier le critique que fut aussi Brasillach. Que les universitaires les plus honnêtes reconnaissent l’importance de ce dernier est évidemment passé sous silence. Que Chantal Meyer-Plantureux, notamment, dans sa préface à la réédition des Animateurs de théâtre chez Complexe, ait établi que Brasillach fut un critique dramatique « curieux de toutes les tentatives d'avant-garde, ne partageant ni les frilosités ni les goûts conventionnels de son camp » ne peut qu’échapper à un Franck peu disposé à s’embarrasser de nuances. Brasillach ayant été un salaud à ses yeux, il ne pouvait qu’agir bassement en toutes circonstances. Il ne peut qu’avoir été également un mauvais critique, incapable de juger les œuvres selon le libre exercice de son goût et de sa sagacité. Ainsi ne put-il saluer Huis-clos que par opportunisme (p.393-394) : « Georges Bataille était réservé, Jean Guéhenno dubitatif, Alexandre Astruc fasciné. Quant à la presse collabo, elle utilisa la pièce pour opérer une esquisse de volte-face, le vent du débarquement ayant soufflé depuis quelques jours sur la scène française. […] Robert Brasillach reprit le flambeau [d’André Castelot dans La Gerbe] : "Jean-Paul Sartre est à coup sûr aux antipodes de ce que j’aime, de ce à quoi je crois encore. Sa pièce est peut-être le symbole d’un art lucide et pourri, celui dont l’autre après-guerre a essayé de s’approcher sans y réussir – mais je ne crois pas me hasarder beaucoup en disant que par la sécheresse noire de sa ligne, par sa rigueur, par sa pureté démonstrative opposée à son impureté fondamentale, c’en est le chef d’œuvre." De l’art et la manière de préparer un retournement de veste… » On admirera les trois petits points qui visent sans doute à souligner un commentaire si pertinent qu’il se croit définitif. Quelques éléments donnés par ailleurs suffisent pourtant à le réfuter. En exergue au chapitre « Libération » (p.477) est cité Jean Galtier-Boissière : « Le mot qui court : ce n’est plus Je suis partout, c’est Je suis parti. » Or, justement, Robert Brasillach n’est pas parti et a fait face à ses juges, sans se renier et avec une dignité qu’Alexandre Astruc, mentionné plus haut, nota dans Combat. Même un Lucien Rebatet, qui ne se montra pas aussi courageux à son propre procès, plus tardif, ne s’était pas "dégonflé" à la fin de la guerre, signant, à l’été 1944, un bravache « Fidélité au national-socialisme » qui se termine par une note qui paraît s’adresser à ses futurs épurateurs pour leur dire qu’il pourrait être reprochées bien des choses aux jusqu’au-boutistes de Je suis partout, mais certainement pas d’avoir agi par opportunisme. En outre, la malveillance vis-à-vis de Brasillach s’accompagne, à propos de Sartre, d’un anachronisme, péché majeur d’un récit à prétention historique. S’imaginer, comme le fait Franck, que Huis-clos, aux yeux d’un journaliste de la presse collaborationniste, symbolisait alors la Résistance et que feindre de l’apprécier aurait pu permettre de se faire bien voir de celle-ci montre qu’il se fait une idée approximative du rôle de Sartre à l’époque, ainsi que de la façon dont s’est construit le personnage. Si l’on se fiait aux fariboles franckiennes, il faudrait reconnaître à Brasillach un don d’anticipation exceptionnel, puisque, malgré son peu de goût pour l’œuvre de Sartre (en particulier pour La Nausée), il avait pris soin de se couvrir dès le 13 avril 1939 en écrivant, dans L’Action française, que la nouvelle Le Mur était « une réussite absolument incontestable » (cité par Geneviève Idt dans La Naissance du phénomène Sartre. Raisons d’un succès, 1938-1945, dir. Ingrid Galster, Le Seuil, 2001, p.60).

Qu’importe de toutes façons à Dan Franck : salir par un petit crachat supplémentaire un écrivain et critique déjà jugé et fusillé ne se refuse pas, les honneurs et papiers de complaisance saluant comme de bien entendu ce genre d’ouvrages ni faits ni à faire.

 

Publié par ARB - dans REVUE DE PRESSE

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